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Faire pousser des cailloux

L'évolution des Petits Mondes est une recherche de nouveaux phénomènes visuels, intriguants, qui puissent me permettre de diversifier les paysages de cet univers. Voilà déjà quelques temps que j'avais en tête l'idée d'explorer des recoins à l'aspect plus minéral, rocailleux, et surtout cristallin. Parce que, si je ramasse des cailloux depuis les tout débuts de ce projet, les cristaux ça devient vite plus compliqué. Il y a bien la possibilité d'en acheter mais, au delà du coup parfois prohibitif, on est aussi contraint par les tailles, les formes, qui peuvent compliquer la mise en scène.

Et puis, je me suis rappelé des marais salants - oui là comme ça vous voyez peut être pas le rapport, mais ça arrive.

Les diamants, l'améthyste, le saphir, le quartz, etc... bref tout ce à quoi on pense spontanément quand on dit "cristaux", ça se forme à partir de minéraux remontés des tréfonds de la terre par le volcanisme. Pour peu que la lave qui les contient refroidisse suffisamment lentement pour leur laisser le temps de former ces structures géométriques caractéristiques que l'on appel cristaux. Mais, comme je n'ai pas les moyens de fondre du cailloux à plusieurs milliers de degrés, ni des décennies/siècles/millénaires devant moi pour attendre que ça refroidisse bien comme il faut, ça n'est pas une option - cela dit, en labo, ça se fait quand même, des diamants ou autre de synthèse.

Mais il y a la technique du marais salant. La structure cristalline, que l'on associe si fermement aux cailloux de bijouterie, est en fait très courante. Et peut notamment être adoptée par pas mal de matériaux solubles. Comme par exemple... le sel. D'où le marais salant.

Le principe est simple. Un produit soluble ne fond pas à l'infini dans l'eau. Dans 1L d'eau à 20°C, on peut dissoudre au maximum 358.5g de sel. Au delà, il ne fondra plus et restera tel quel au fond du récipient. On appelle cette quantité maximale la solubilité, et un volume de liquide dans lequel on a atteint ce maximum est appelé solution saturée. Lorsque l'eau de cette solution saturée s'évapore, on se retrouve avec moins d'eau mais toujours autant de sel. On a donc plus de sel dissout que le liquide ne peut en contenir ; ce qu'on appelle une solution sursaturée, état très instable qui ne pourra pas se maintenir longtemps. Le trop plein de sel dissout va s'évacuer spontanément, en repassant de l'état dissout à l'état solide.

Or, il se trouve que par nature, la forme solide de certains matériaux, dont le sel, est un cristal. C'est le fonctionnement d'un marais salant : l'eau de mer s'évapore, et on récupère le trop-plein de sel qui a cristallisé - bien que l'eau de mer soit salée mais pas saturée en sel, il faut donc en évaporer beaucoup pour que le sel comment à cristalliser.

Dans ce cas là, le but n'est pas d'obtenir de beaux cristaux, mais juste du sel. On fait donc en sorte que tout cela aille vite, et on obtient une multitude de petits cristaux.

Mais, en contrôlant un tant soit peu le rythme d'évaporation, on peut réussir à faire grossir, à faire pousser, un unique cristal. Et si le sel est un exemple familier, il est loin d'être le seul. Il y a le sucre, déjà, et à ce jour, j'ai pu lister une quarantaine de composés solubles et cristallins pour lesquels on peut appliquer ce principe - et il est certain que cette liste n'est pas exhaustive. Et quand on ne bosse pas pour La Baleine, mais qu'on veut obtenir à chaque fois un cristal à partir de divers matériaux, on ne parle pas de "technique du marais salant" mais de méthode de Czochralski, ou épitaxie en phase liquide.

Le détail est à peine plus subtil. On commence toujours par dissoudre la bonne quantité de produit, selon sa solubilité, en fonction du volume voulu pour obtenir une solution saturée. On réserve le plus gros dans un bécher et en prélève une petite quantité, à placée dans un récipient très évasé, pour que l'évaporation soit rapide. De petits cristaux vont vite se former, et après en avoir prélevé un on le suspend dans le reste de la solution.

Celle-ci va s'évaporer, au fur et à mesure le trop plein de produit va cristalliser, préférentiellement sur le petit cristal, la graine, qui a été suspendue dans la solution? Si l'évaportation est lente, le cristal va grandir en conservant sa forme, et cette croissance se poursuit tant qu'il est immergé. Le cristal obtenu, unique, est appelé monocristal. En revanche, si l'évaporation est trop rapide, il va certes grandir mais d'autres cristaux vont se former au fond du bécher et sur le cristal principal. Cet amas est appelé polycristal.

La couleur, et la forme du monocristal sont spécifique du matériau utilisé. Un même composé cristallisera toujours sous la même forme ; l'un des 7 systèmes cristallins : cubique, tétragonal, orthorhombique, hexagonal, trigonal, triclinique, et monoclinique. En ajoutant à cela la très grande diversité de forme que peuvent donner les polycristaux, par l'intrication d'une multitude de monocristaux, il y a là de quoi créer toute une variété de décors !

A noter toutefois que l'on utilise des produits soluble dans l'eau. De ce fait, les cristaux obtenus le sont également. Ils doivent être conservé à l’abri de l'humidité, et c'est aussi pour cette raison que l'on ne trouve pas ces cristaux dans la nature, où il fait toujours plus ou moins humide à un moment ou un autre... Il est possible de protéger les cristaux que l'on souhaite conserver, avec une couche de vernis, résine, ou autre, qui les isolera de l'humidité de l'air ambiant.

Le processus doit être lent (des semaines, parfois des mois de croissance) pour obtenir un beau résultat, et les différents produits sont plus ou sensibles aux perturbations. Les variations de température, notamment, sont à surveiller. La solubilité dépend de la température : on dissout beaucoup plus d'un produit donné dans de l'eau chaude que dans de l'eau froide. Et donc, si la température ambiante monte rapidement, le cristal en croissance va fondre, au moins en partie. Et si la température chute, la cristallisation va s’accélérer brusquement et risque de provoquer la croissance de nombreux petits cristaux autour et sur le cristal principal.

Mais avec quelques essais/erreurs, et pas mal de patience, il n'est pas si difficile de faire pousser des cailloux !